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Les falaises d'Ivry-la-Bataille imposent leur présence, à la fois majestueuses et menaçantes. Depuis des siècles, elles soutiennent le château et veillent sur le village, sculptées par le temps et les habitants, offrant des cavités où s'abritent hirondelles et chauves-souris. Aujourd'hui pourtant, leur stabilité vacille et avec elle, le fragile équilibre entre la nature et ceux qui y vivent.


Les éboulements survenus ces dernières années ont contraint la municipalité à réagir par des mesures drastiques. Deux arrêtés ont été pris : l'un interdisant l'accès aux terrains sous les falaises, privant ainsi de nombreux habitants de leurs jardins et dévaluant leurs biens immobiliers, et un second, plus absurde, interdisant… aux pierres de tomber. Derrière l'ironie de ce geste, cet acte de la maire a mis en lumière un problème qui semblait inévitable. Cet arrêté, lauréat du prix de "l'arrêté municipal le plus absurde" en 2023, est devenu le symbole d'une impuissance face à des forces naturelles, mais aussi d'une volonté désespérée de faire entendre une petite commune.


À travers le tirage Lith, j'ai cherché à capturer non seulement l'érosion visible des falaises, mais aussi l'usure invisible des liens entre les habitants, la municipalité et leur environnement. Le Lith, avec sa texture granuleuse et ses contrastes profonds, reflète parfaitement cette dichotomie : une beauté brute qui s'effrite lentement sous la pression du temps, des éléments et de l'Homme.


Ce projet documente non seulement la fragilité du paysage d'Ivry-la-Bataille, mais aussi la lutte de ses habitants face à des forces qui les dépassent. Chaque image devient ainsi une archive visuelle d'un équilibre précaire, une invitation à réfléchir à la manière dont le paysage, les éléments naturels et les actions humaines interagissent, et comment l'érosion, sous toutes ses formes, devient le fil conducteur qui relie ces forces.

Le 31 décembre 2020, au petit matin, 300 m³ de roches sont tombés rue de Garennes. Intervention des pompiers, de la gendarmerie, et je me retrouve à expliquer à 2 familles qu’ils devront évacuer leur logement et passer le réveillon ailleurs…

Les travaux de confortement se sont élevés à 300 000 €, pour lesquels nous avons obtenu 50% d’aide.

Environ 6 mois plus tard, nouvel éboulement, administratif cette fois, avec la publication du PAC (Porter à connaissances) risque d’éboulement falaises produit par le BRM (Bureau de Recherches géologiques et Minières). Après consultation des services de la Préfecture, les conséquences sont énormes, même si, d’après le BRGM, aucune maison ne doit être évacuée:

  • 130 parcelles sont concernées,
  • Publication d’un arrêté interdisant l’accès en fond de parcelles sur 10m, et interdiction d’accéder aux grottes,
  • Restriction des demandes d’urbanisme,
  • Pour les propriétaires, dévaluation de fait de la valeur de leur bien.

Il y a 32 communes concernées dans l’Eure, et certaines n’ont rien fait depuis la publication de ce PAC. À Ivry-la-Bataille, la commune a préféré attaquer de front ce problème. Un géomètre est venu déterminer quelles falaises devaient être considérées comme appartenant à la commune : environ 45.

Sur ces parcelles, nous procéderons en août 2024 à une dévégétalisation partielle, puis à l’étude du CEREMA pour déterminer l’urgence et la nature des travaux à envisager pour sécuriser ces parcelles. Un chantier sans doute pour de nombreuses années, et des centaines de milliers d’euros à prévoir… si toutefois les municipalités les jugent utiles, puisque juridiquement, l’arrêté suffit.

Côté finances, nous avons droit au fonds Barnier, qui couvre 50 % des dépenses. Les particuliers n’y ont pas droit. Nous avons travaillé à trouver d’autres financements, ce qui demande beaucoup de temps et d’énergie. Nous couvrons donc les frais de dévégétalisation à hauteur de 75%, et les études pour 80%. Les travaux, pour l’instant, ne seraient financés qu’à 50%.

Deux propriétaires privés attaquent également la commune en justice.

Face à la complexité technique et administrative du sujet, une commune se trouve très démunie. J’avais demandé en 2021 une ingénierie d’appui, commune et financée par l’ensemble des communes sur l’Eure mais ma demande n’a pas abouti.

Pour attirer l’attention sur notre problème, nous avons écrit avec le policier municipal un arrêté absurde et nous avons même gagné le premier prix ! Mais celui-ci n’a pas produit l’effet escompté.

Je pense en toute honnêteté qu’aucune vie n’étant en danger, et dans le contexte climatique ambiant, nous devrons apprendre à vivre avec nos falaises.

©Clément Marion tous droits réservés.
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